dimanche 13 novembre 2011

Guérilla en coeur groggy


DONOMA / Djinn Carrénard / France / 2011 (sortie le 27 novembre)

Dès les premières images du films, une frontière saute. Entre l'écran et moi un mur vient de s'effacer, il n'y a plus de distance ou presque. Une incroyable impression de réalité. Le jeu des acteurs est d'un naturel hors du commun au cinéma, et plus encore dans le cinéma français. Même Cantet ou Kechiche ne l'avait pas saisi aussi bien. La caméra est à l'épaule, presque documentaire, à l'affut du moindre mouvement des personnages. L'empathie se crée surtout parce qu'en deux heures de film à peine, Djinn Carrénard crée des personnages denses, avec leur qualité et leur défaut, et surtout une zone d'ombre, d'inconnu. Il le leur laissent le temps de vivre, sans que rien de ce qui apparait à l'écran soit inutile au scénario. Ces personnages sont humains. Nous sommes au-delà du simple crédible que nous demandons à un film. Nous n'y croyons pas, nous y sommes. Mais dans Donoma, la réalité est utilisé comme un cheval de Troie qui entre lentement en vous, pour que la bombe de poésie qu'elle cachait en son sein explose plus fort encore.

Le film se tisse autour du thème le plus rebattu du monde, celui dont on n'attendait plus rien, parce que tout a déjà était dit n'est-ce pas : l'amour. Pas avec un grand A ? Non. Un petit alors. Non plus. Le mot ici englobe toute ses formes : l'amour passionnel et contradictoire de Dacio pour sa prof Analia, l'amour pour l'amour de Chris qui choisit Dama au hasard, l'amour fraternel de Salma pour sa soeur, et l'amour d'un Dieu toujours silencieux pour Rainé. Écrit ainsi on peux d'attendre à un film-thèse, explorant chaque facette de ces amours pour leur assigner une réponse définitive. Mais Djinn Carrénard est plus fin que ça. Il nous pose à la place cette question : que vas-t-on chercher à aimer l'autre ? Un idéal, le hasard, le souvenir d'un ancien amour ou peut-être un autre nous même ? Tous les personnages finissent dans cette inévitablement déçu. La faute aux différences sociales ? (D'ailleurs détail important à noter ici, c'est la première fois qu'un film qui se targue de montrer une mixité sociale, culturelle, et "raciale" le fait avec un naturel dément. Là encore, rien ne sens le préfabriqué). L'économie s’insère dans les relations humaines, les rongent les interrogent. Au détour d'une dispute, on rappelle que l'on est pas du même monde, que "Tu es une bourge", que "Tu n'es pas noir". Tout cela pour cacher qu'en réalité, ils ne savent pas communiquer. Même ceux qui rêvaient de s'aimer en silence ne se sont pas compris. Pourtant l'amour est encore là.

La poésie de Donoma ne vient pas contre-balancer ce propos, ni l'appuyer, il en précise l'impact : droit au cœur. Les gros plans des personnages que l'on croit presque volé, la texture d'une image faite avec un objectif cheap, la construction en flash-back discret construisant rythme, rime et cohérence au film. Des détails soudain incongrus : la prof d'espagnol avec une mallette pleine de jeton de casino quand elle propose un marché à son élève, les stigmates du Christ qui apparait sur l'athée, ou cette séquence là :



Ce qui est frappe, c'est l'absence de référence évidente. Les premiers films sont si souvent alourdis par l'ombre d'un cinéaste tutélaire, d'un point de repère. Ici il n'y en aucun. Kechiche peut-être ? A peine, il y a la même vérité, les mêmes personnages, mais les enjeux ne sont pas les mêmes. Le seul point de repère que semble avoir Carrénard sont ses personnages. Comment se frotter à eux, comment les rendre toujours plus complexes, plus intéressants, plus vivants. Pour cela il prend des risques. Il se met en danger, bifurque, trébuche parfois, se relève toujours. Les quelques maladresses la force du final les emportent d'un coup sec. La réalisation prend aux tripes sans racoler et en quelques plans bien senti sais vous mettre groggy, qui fait qu'une fois le film allumés on tremble encore d'une émotion que l'on attendait pas.

Gaëtan


PS : Il est difficile de parler de Donoma sans passer par de sa méthode d'auto-production, car c'est ce qui lui vaux au générique son nom de film-guérilla. 150€ de budget de base, le reste demandé aux internautes via un site internet, la niaque des quinze personnes de l'équipe (acteurs compris) et de la débrouille du tournage jusqu'à sa diffusion en salle. Bref, une méthode purement do it yourself, mais un do-it-yourself qui ne veux pas se cantonner à un petit monde d'happy few comme c'était la cas du punk ou du cinéma expérimental. Ici l'équipe de Donoma est boosté par une ambition : faire du Cinéma, et le faire populaire. Dans le sens le plus noble du terme. Pour en savoir plus d'ailleurs passez sur leur site : http://www.donoma.fr/

Et au fait, il y a une analyse bien plus pertinente sur ce film dans les Cahiers du Cinéma ce mois-ci. Si jamais vous avez l'occasion de l'avoir dans vos mains, lisez-le.

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