mercredi 30 novembre 2011

Gris : couleur chaude

LA GUERRE EST FINIE / Alain Resnais / France / 1966

A priori La guerre est finie parle de la résistance des communistes espagnol au pouvoir franquiste. Diego Mora (Yves Montand) s'exile en France pour organiser une grève générale en Espagne. Un personnage largemment inspiré par Jorge Semprun auteur du scénario, voix-off du film et écrivain engagé qui coordonna la résistance au régime de Franco de 1953 à 1964. Et pourtant...

J'adore les films d'Alain Resnais, mais là il ne m'avait pas habitué à être si gris. Il est parfois froid comme le marbre de Marienbad, sucrée comme un chanson populaire, coloré comme les herbes déchirant un béton trop sur de soi, enneigés comme Paris. Mais rarement gris. Le titre en même temps donne le ton. Si le guerre est finie ce n'est pas parce qu'elle est gagné, mais parce qu'elle est abandonné. Tous les militants du film semble sclérosé, embourbé dans de mornes discussions, ne rêvant d'une action pas plus ambitieuses que la grève générale que tous savent voués à l'échec. Le mythe du résistant est écrasé par le poids du quotidien, du mécanique. On rempli une voiture de tract dissidents tout en discutant, sans s'en rendre compte. Parce qu'il faut le faire. C'est nécessaire. Pourtant il y a l'amertume, résumé par ce passage et par le jeu d'Yves Montand


(Je dois reconnaître que je suis impressionné par la présence de ce bonhomme. Je ne l'avais vu dans aucun autre film à part comme tout le monde La folie des grandeurs. Et là il m'émeut, surtout à la fin, le dernier silence.)

Cependant attention, film gris ne veux pas dire mauvais, et Resnais sait toujours être joueur. Notamment comme toujours, grâce à un art consommé du montage, qui au détour d'un plan nous emmène dans l'esprit du personnage, s'imaginant qu'elle peut-être la fille qui lui a sauvé la mise à la frontière. Toutes les possibilités défilent sous nos yeux, tout un imaginaire que se déploie à l'improviste. Il nous intrigue comme le personnage est lui-même intrigué.

Non, en y réfléchissant bien, ce film n'est pas si gris. Il contient, et c'est rare chez Resnais, une scène d'un érotisme tendre. Oh, 44 secondes à peine, une goûte dans cet océan splendide. Yves Montand embrasse Geneviève Bujold, se dirige vers le lit, et lentement, après un regard tout s'efface littéralement. Il n'y a plus d'espace il n'y a qu'une sensation. Les mains d'Yves Montand qui se pose sur sa peau, un son qui languit, tient toute la scène à la force de sa note. Les jambes de Bujold ne finissent pas, belles traînées de chair dont on ne voie pas le bout. Ce dernier plan clos la scène.

Je pourrais vous la montrer, elle est sur YouTube. Mais je ne veux pas. Malgré mes mots maladroits, vous avez la chance de pouvoir encore la fantasmer.


Gaëtan

samedi 26 novembre 2011

Il faudra que je vous raconte mon voyage en Immémoire


"C'est cette image qui apprit à un enfant de sept ans comment un visage emplissant l'écran était d'un coup la chose la plus précieuse au monde, quelque chose qui revenait sans cesse, qui se mêlait à tous les instants de la vie, dont se dire le nom, se décrire les traits devenait la plus nécessaire et délicieuse occupation - en un mot, ce qu'était que l'amour. Le déchiffrement de ces symptômes bizarres vint plus tard, en même temps que la découverte du cinéma, si bien que pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables et qu'un film sans femme lui est toujours aussi incompréhensible qu'un opéra sans musique."

Chris. Marker in Immemory
Simone Genevois sur la photo.

(C'était un extrait choisi par Gaëtan)

dimanche 13 novembre 2011

Splendeur et misère


(Je reprends en guise de titre l'expression de Balzac, qui à mon avis est représentative à bien des égards du livre de ma mère d'Albert Cohen)


Je dis souvent que je lis ce livre quand je suis triste, parce qu’il rend la tristesse belle.
Je me sens proche d’Henriot qui écrit à son propos «ce livre déchirant colle à vous. Il m’a fallu lui revenir et le reprendre».
Plus que le livre d’un fils pour sa mère morte, c’est donc un livre, par sa profondeur métaphysique, de tous les instants où on est tristes et seuls, de tous les amours et de toutes les détresses.

Cohen commence ainsi :
«Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. Ce n’est pas une raison pour ne pas se consoler, ce soir, dans les bruits finissants de la rue, ne pas se consoler, ce soir, avec des mots. Oh, le pauvre perdu qui, devant sa table, se console avec des mots, devant sa table et le téléphone décroché, car il a peur du dehors, et le soir, si le téléphone est décroché, il se sent tout roi et défendu contre les méchants du dehors, méchants trop vite, méchants pour rien.

Quel étrange petit bonheur, triste et boitillant mais doux comme un péché ou une boisson clandestine, quel bonheur tout de même, d’écrire en ce moment, seul dans mon royaume et loin des salauds. Qui sont les salauds ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Je ne veux pas d’histoire avec les gens du dehors. Je ne veux pas qu’on vienne troubler ma fausse paix et m’empêcher d’écrire quelques pages par dizaines ou centaines selon que ce coeur de moi qui est mon destin décidera. J’ai résolu notamment de dire à tous les peintres qu’ils ont du génie, sans ça ils vous mordent. Et, d’une manière générale, je dis à chacun que chacun est charmant.Telles sont mes moeurs diurnes. Mais dans mes nuits et mes aubes je n’en pense pas moins.

Somptueuse, toi, ma plume d’or, va sur la feuille, va au hasard tandis que j’ai quelque jeunesse encore, va ton lent cheminement irrégulier, hésitant comme en rêve, cheminement gauche mais commandé. Va, je t’aime, ma seule consolation, va sur les pages où tristement je me complais et dont le strabisme morosement me délecte. Oui, les mots, ma patrie, les mots, ça console et ça venge. Mais il ne me rendront pas ma mère.»

Je ne voudrais pas m’arrêter de citer ; c’est beau et il me semble que le style de Cohen parle mieux pour lui-même que n’importe quel article que je pourrais écrire.
Je suis touchée, notamment, au milieu des épanchements lyriques et douloureux, par ces sortes de bouderies enfantines, naïves (je pense aux moments où Cohen parle des «méchants», des «salauds»). Et Cohen a d’ailleurs tout d’un enfant dans ce livre - un peu plus tard il écrit «j’ai pitié de moi, de cette enfantine capacité d’immense joie qui ne présage rien de bon». 
Cohen se dépeint lui-même, parfois cruellement, avec une sorte d’auto-dérision amère.
L’amertume est peut-être le sentiment qui se dégage le plus de ce livre, l’amertume qui vient couper net l’enchaînement des longues phrases lyriques - Cohen a un admirable sens de la chute : le livre est composé de beaucoup de paragraphes assez courts, et tantôt l’envolée est conclue par une superbe image, comme une apogée, tantôt elle est cassé par un constat amer, par une dégringolade dans la triste, absurde, réalité de la vie humaine.

De l’enfant, Cohen n’a pas seulement la joie irrationnelle et le côté boudeur. De l’enfant, Cohen a aussi l’égoïsme sans limite. Dans l’hommage qu’il rend à sa mère, elle apparaît comme une femme à ce point servile, à ce point soumise aux deux hommes qu’elle aime (son mari et son fils) que le lecteur est forcément mal à l’aise. L’amour maternel est déployé dans tous ses clichés d’abnégation absolue, d’humble soumission. C’est un hommage souvent irrespectueux : la mère est «nigaude», une «pauvre enthousiaste», maladroite, sans ambition, satisfaite de peu. «Elle acceptait, bon chien fidèle, son petit sort d’attendre».
Cohen peint davantage l’amour d’une mère pour son fils que l’amour d’un fils pour sa mère, et le fils semble aimer en sa mère avant tout cette dévotion qu’elle a pour lui. Et si la mère, certes, a de la grandeur, c’est précisément par sa dévotion. C’est une «sainte» - le thème religieux est important, pourtant Cohen est un athée. Il ne croit ni en Dieu ni en ce monde (il fait au cours du bouquin quelques descriptions mordantes de la société des hommes). Il croyait en sa mère ; sa mère est morte, il est seul, lui et sa plume avec laquelle il montre magnifiquement toute cette vie dépourvue de sens, avec laquelle il déploie en deux cent pages tragiques, d’une beauté à couper le souffle, son monstre d’amour immense et égoïste.


Mélanie.

Guérilla en coeur groggy


DONOMA / Djinn Carrénard / France / 2011 (sortie le 27 novembre)

Dès les premières images du films, une frontière saute. Entre l'écran et moi un mur vient de s'effacer, il n'y a plus de distance ou presque. Une incroyable impression de réalité. Le jeu des acteurs est d'un naturel hors du commun au cinéma, et plus encore dans le cinéma français. Même Cantet ou Kechiche ne l'avait pas saisi aussi bien. La caméra est à l'épaule, presque documentaire, à l'affut du moindre mouvement des personnages. L'empathie se crée surtout parce qu'en deux heures de film à peine, Djinn Carrénard crée des personnages denses, avec leur qualité et leur défaut, et surtout une zone d'ombre, d'inconnu. Il le leur laissent le temps de vivre, sans que rien de ce qui apparait à l'écran soit inutile au scénario. Ces personnages sont humains. Nous sommes au-delà du simple crédible que nous demandons à un film. Nous n'y croyons pas, nous y sommes. Mais dans Donoma, la réalité est utilisé comme un cheval de Troie qui entre lentement en vous, pour que la bombe de poésie qu'elle cachait en son sein explose plus fort encore.

Le film se tisse autour du thème le plus rebattu du monde, celui dont on n'attendait plus rien, parce que tout a déjà était dit n'est-ce pas : l'amour. Pas avec un grand A ? Non. Un petit alors. Non plus. Le mot ici englobe toute ses formes : l'amour passionnel et contradictoire de Dacio pour sa prof Analia, l'amour pour l'amour de Chris qui choisit Dama au hasard, l'amour fraternel de Salma pour sa soeur, et l'amour d'un Dieu toujours silencieux pour Rainé. Écrit ainsi on peux d'attendre à un film-thèse, explorant chaque facette de ces amours pour leur assigner une réponse définitive. Mais Djinn Carrénard est plus fin que ça. Il nous pose à la place cette question : que vas-t-on chercher à aimer l'autre ? Un idéal, le hasard, le souvenir d'un ancien amour ou peut-être un autre nous même ? Tous les personnages finissent dans cette inévitablement déçu. La faute aux différences sociales ? (D'ailleurs détail important à noter ici, c'est la première fois qu'un film qui se targue de montrer une mixité sociale, culturelle, et "raciale" le fait avec un naturel dément. Là encore, rien ne sens le préfabriqué). L'économie s’insère dans les relations humaines, les rongent les interrogent. Au détour d'une dispute, on rappelle que l'on est pas du même monde, que "Tu es une bourge", que "Tu n'es pas noir". Tout cela pour cacher qu'en réalité, ils ne savent pas communiquer. Même ceux qui rêvaient de s'aimer en silence ne se sont pas compris. Pourtant l'amour est encore là.

La poésie de Donoma ne vient pas contre-balancer ce propos, ni l'appuyer, il en précise l'impact : droit au cœur. Les gros plans des personnages que l'on croit presque volé, la texture d'une image faite avec un objectif cheap, la construction en flash-back discret construisant rythme, rime et cohérence au film. Des détails soudain incongrus : la prof d'espagnol avec une mallette pleine de jeton de casino quand elle propose un marché à son élève, les stigmates du Christ qui apparait sur l'athée, ou cette séquence là :



Ce qui est frappe, c'est l'absence de référence évidente. Les premiers films sont si souvent alourdis par l'ombre d'un cinéaste tutélaire, d'un point de repère. Ici il n'y en aucun. Kechiche peut-être ? A peine, il y a la même vérité, les mêmes personnages, mais les enjeux ne sont pas les mêmes. Le seul point de repère que semble avoir Carrénard sont ses personnages. Comment se frotter à eux, comment les rendre toujours plus complexes, plus intéressants, plus vivants. Pour cela il prend des risques. Il se met en danger, bifurque, trébuche parfois, se relève toujours. Les quelques maladresses la force du final les emportent d'un coup sec. La réalisation prend aux tripes sans racoler et en quelques plans bien senti sais vous mettre groggy, qui fait qu'une fois le film allumés on tremble encore d'une émotion que l'on attendait pas.

Gaëtan


PS : Il est difficile de parler de Donoma sans passer par de sa méthode d'auto-production, car c'est ce qui lui vaux au générique son nom de film-guérilla. 150€ de budget de base, le reste demandé aux internautes via un site internet, la niaque des quinze personnes de l'équipe (acteurs compris) et de la débrouille du tournage jusqu'à sa diffusion en salle. Bref, une méthode purement do it yourself, mais un do-it-yourself qui ne veux pas se cantonner à un petit monde d'happy few comme c'était la cas du punk ou du cinéma expérimental. Ici l'équipe de Donoma est boosté par une ambition : faire du Cinéma, et le faire populaire. Dans le sens le plus noble du terme. Pour en savoir plus d'ailleurs passez sur leur site : http://www.donoma.fr/

Et au fait, il y a une analyse bien plus pertinente sur ce film dans les Cahiers du Cinéma ce mois-ci. Si jamais vous avez l'occasion de l'avoir dans vos mains, lisez-le.